Le meilleur dessert du monde ne coûte que 6,99 euros

Pourquoi se ruiner chez Cédric Grolet quand on peut juste aller dévaliser le Picard de son quartier ?

Entrée, Plat, Dessert
7 min ⋅ 06/02/2025

Je m’appelle Robin Panfili, je suis journaliste gastronomique depuis presque dix années et, il est temps de l’avouer, je n’aime pas vraiment le sucre. Ni même les desserts tout court, d’ailleurs. Cela pourrait ressembler à une faute professionnelle, je sais, mais c’est comme ça.

Ces derniers mois, les seuls qui ont réussi à m’attraper sont Jade Genin (avec des petits pyramidions pralinés), Alain Ducasse (avec des biscuits), Rori (avec un sundae), Sarah Chougnet-Strudel au Trou Gascon (avec un soufflé au chocolat), et un distributeur automatique de la gare Montparnasse (avec un Kinder Bueno) avant de prendre un train vers la mer.

Et c’est à peu près tout.

Alors, puisque je passe ma vie au restaurant pour le boulot, j’ai appris à tricher. À faire semblant, et à filouter en refilant, systématiquement et discrètement, la fin de mon assiette au bec le plus sucré de la tablée. Toutefois, le constat reste aussi simple que cruel : malgré tout le respect que j’éprouve pour le métier de pâtissier, les desserts ne m’emballent que rarement.

Bien sûr que j’aurais adoré vous dire, ici, en plissant les yeux et en me grattant le menton, que le plaisir coupable sucré de mon enfance était la mousse au chocolat de chez Lipp ou du Bon Georges, servies à la cuillère par un mec sapé en costume trois pièces.

Mais non.

Chaque retour chez mes parents dans le Sud-Ouest, pour les vacances ou juste un week-end prolongé, répond à un protocole culinaire réglé comme du papier à musique… mais aussi légèrement contradictoire avec ce que je viens d’affirmer quelques lignes plus haut. Le rituel en question ? Des œufs mimosa et des carottes râpées en entrée, du confit de canard en plat de résistance, et en dessert, toujours, une tarte aux framboises surgelée de chez Picard.

Car il est là mon plaisir coupable sucré d’enfance. Même pas 7 balles pour un rodéo sucré, acide et fruité sur une pâte sablée pur beurre. Avec le temps, cette tarte est devenue un symbole, un pilier et un repère de mon existence. Une bulle de nostalgie toujours parée à venir chatouiller mon IMC ; une madeleine de Proust, moins chère qu’un kebab après l’inflation, à avaler à n’importe quel moment de la journée, mais surtout, et avant tout, avec le café du début d’après-midi que l’on prend sur le canapé du salon.

Si j’ai peut-être de quoi m’en vouloir de tenir une tarte industrielle comme référence et totem culinaire sucré, je peux cependant me consoler en me disant que je ne suis seul à partager une obsession maladive pour ce feu d’artifice de saccharose.

En sollicitant mon entourage, j’ai réalisé que je n’étais pas le seul à vénérer cette tarte aux framboises. En consultant les nombreux avis de clients, ma théorie s’est confirmée. Mais comme un biais cognitif est souvent bien trop vite arrivé, j’ai voulu en avoir le cœur net en interrogeant le principal intéressé : Picard. Verdict : cette tarte aux framboises figure bien parmi les best-sellers sucrés de l’enseigne. “Il s’en vend une toutes les cinq minutes”, m’a confié un porte-parole.

La marque de surgelés préférée des Français peut aussi se vanter de la longévité de ce dessert dans son inventaire. Car dans un monde culinaire où les tendances se chassent et se mènent la vie dure, où les innovations de l’agroalimentaire se volent la vedette, sans pitié et à la vitesse de l’éclair, Picard le glisse dans ses rayons depuis déjà… plus de vingt-cinq ans. La première tarte aux framboises a, en effet, vu le jour en 1998. Une année sacrée pour le football, donc, mais aussi pour les tronches sucrées.

Les desserts Picard évoquent pour beaucoup un souvenir d’enfance. Ces produits emblématiques, présents depuis des générations, ont accompagné de nombreux moments de partage, devenant des madeleines de Proust pour nos clients. Dans une société en quête de repères, ils apportent un réconfort unique, rappelant l’insouciance et la chaleur des instants passés en famille. Leur goût traverse le temps, offrant un lien rassurant entre le passé et le présent, et continuant d’accompagner chaque génération avec douceur.

Et rassurez-vous, cette tarte aux framboises est encore là pour un moment. “Elle reste un grand classique, et il n'est pas question de la retirer de la vente. Nous sommes très attachés à ce produit qui fait partie de notre histoire”. Ouf.

Mais alors, tarte ou pas tarte, que reste-t-il du poids de la nostalgie des souvenirs culinaires sur nos petits cerveaux abîmés par un monde qui va de plus en plus mal ? S’il a longtemps existé des doutes et des incertitudes sur l’influence de l’alimentation des mères sur leurs bambins en fin de grossesse, on en sait aujourd’hui davantage sur le rôle des arômes prénataux dans notre éducation alimentaire.

Néanmoins, rien de concluant n’a encore été étudié et statué sur ce qui nourrit la douce mélancolie de nos estomacs, ni sur l’emprise, dans nos vies, des saveurs de l’enfance qui ont forgé nos mémoires. Celles de la cantine du collège, du “self” du lycée, des goûters en colonie de vacances ou des dimanches en famille.

Dans un monde où l’on veut et l’on peut tout savoir, trop vite et trop facilement, cette magie des papilles et ce mystère des mâchoires est finalement peut-être ce qu’il nous reste de plus précieux. Un brouillard et un flou artistique salvateurs pour notre santé mentale, pour ce qui nous berce encore d’innocence, et pour maintenir en vie, encore un peu, notre fragile capacité d’émerveillement.

Les chefs ont-ils (aussi) des plaisirs coupables sucrés d’enfance ?

  • Manon Fleury (cheffe du restaurant Datil)

C’est marrant, mon plaisir coupable d’enfance vient aussi de chez Picard : les coulants au chocolat. Ma mère en achetait dès qu’on recevait des invités à la maison et s’amusait à dire que c’est elle qui les avait faits. Ils m’ont suivie ensuite, ado et et même jusqu’à l’école de cuisine. Dans un cours de pâtisserie, un prof nous avait demandé si l’on connaissait l’origine de ce dessert. J’avais répondu Picard, alors qu’il s’agissait évidemment… de Michel Bras.

  • Antonin Girard (chef du restaurant Pantobaguette)

Quand j’étais gamin, à l’heure du goûter, je me faisais des tartines de Kiri bien généreuses sur un Krisprolls, puis par-dessus, je venais planter une tonne de Miel Pops pour rendre le truc un peu sweety, et encore plus crunchy. J’adorais ça, c’était un peu l’équivalent du célèbre accord chèvre-miel, mais avec les moyens du bord d’un enfant de 7 ans.

  • Antoine Villard (chef du restaurant Dandelion)

J’ai un craving sucré que je traîne depuis l’enfance : le Kinder Country. Si j’ai un coup de mou, c’est mon meilleur compagnon. Et j’ai aussi l’incontournable moelleux au chocolat Picard qui a bercé mon enfance et mon adolescence. J’en ai parlé à un pote américain qui ne connaissait pas ce fameux dessert et, un jour, il nous en a fait livrer dix, directement de chez Picard, par surprise, pour le repas du personnel à l’ouverture du resto.

  • Ella Aflalo (cheffe indépendante)

La coco givrée qu’on trouve dans le commerce, c’est mon petit plaisir coupable depuis l’enfance, même si je réalise, en l’écrivant, que c’est pas dingo niveau qualité. Mais l’esthétique me plaît, la coco au goût mega prononcé, le sucré, et le côté pratique aussi. Après… pourquoi en parler comme un plaisir coupable… C’est un fruit après tout ! Chez moi, il y avait deux teams : citron givré ou coco givrée. Moi, j’ai toujours été côté coco.

  • Antoine Labroche (chef du restaurant Antoine Omnivore)

Je me souviens de la bûche glacée aux fruits rouges et chocolat blanc que ma famille achetait au supermarché pour Noël. Elle ne coûtait pas cher, mais quand même, chaque année, j’entendais dire : ‘Tu as vu ?! Le prix de la bûche a encore augmenté cette année !’ C’est un dessert que j’ai longuement refoulé, mais toujours dégusté avec un plaisir coupable. Je me souviens même avoir tenté d’en faire une ‘maison’ une fois, mais elle n’avait pas fait l’unanimité comparée à la bûche glacée.

  • Clément Satgé (chef du restaurant Montezuma Café)

Moi, c’est la crème à la vanille Marque Repère, et je parle bien de la Marque Repère, pas d’une autre marque. Ça rendait fous mes parents car ils ont toujours fait en sorte qu’on mange très bien, quitte à sacrifier d’autres choses (les voitures, le confort, des vacances onéreuses, etc.). Ils se sont toujours saignés pour qu’on mange le mieux possible. Alors me voir engloutir cette m**** les désespérait. On en rigole encore, c’est un running-gag.

Vous connaissez Chez Etienne ? La pizze(a)ria historique du quartier du Panier à Marseille, irrémédiablement devenue aussi cool et touristique qu’elle ne restera, pour l’éternité, enveloppante, tchatcheuse, bruyante et délicatement chaotique ? Réputée pour sa pizza moitié-moitié et ses supions à l’ail, on n’y trouve toutefois pas de tarte aux framboises… mais un autre sommet du savoir-faire tartistique (déso Le Fooding, celle-là, elle est pour moi) : une alléchante tarte aux pommes, directement sortie du four de la boulangerie Le Trianon, servie juste tiède avec une boule de glace à la vanille.

Aussi, au rayon des tartes incontournables : direction Tapisserie pour leur tarte aux poires et verveine, Pierre Hermé pour sa légendaire tarte “Infiniment Vanille” (#1 dans mon cœur pour la vie), Union pour leur tarte au citron, Mon Lapin (Montréal) pour une tarte au riz à l’érable unique au monde, Le Café de l’Usine pour sa tarte au chocolat noir et crème crue fouettée + sa tarte tatin imbattable ou, si votre portefeuille le permet, L’Astrance pour la tarte au chocolat, sarrasin et caramel beurre salé de la légende Pascal Barbot.

Encore moins cher qu’une part de tarte : voici des porte-clés en forme de tarte. Il y en a pour tous les goûts : tarte à la myrtille, tarte au citron, tarte à la citrouille, tarte aux pommes, tarte aux groseilles. Et même en forme de fraisier ou de millefeuille. Garanti 0% dropshipping.

Je ne sais pas si vous connaissez la chanson “La recette de la tarte aux pommes”, écrite et composée par Julien Joubert. Bon déjà, sachez qu’elle existe, qu’elle est formidable et que la Maîtrise de Radio France en a fait une fantastique reprise, avec tout plein de jeunes choristes, sous la direction de Marie-Noëlle Maerten. C’était le 18 octobre 2016, dans l'Auditorium de la Maison de la Radio. Une merveille, simplement.

C’est drôle et beau à la fois, mais c’est surtout la seule vidéo sur laquelle vous devez cliquer aujourd’hui. Essayez de me dire que vous n’avez pas vibré de tout votre corps à 0:39 (dans la vidéo ci-dessous)… Je ne vous croirai jamais.

Chaque année, je fais le bilan de mon année à table et je dresse mon top des plats les plus chelous, mais aussi les plus fous, avalés au restaurant au cours des douze mois qui viennent de s’écouler. Pour 2024, il y a encore du loufoque, du baroque et du fantasque : des abats, des poissons, du terre-mer, des chocolats — et même de la bouffe de snack, servie en barquette, à dévorer au volant d’une bagnole garée en warning sur une place “Livraison”.

Le classement est disponible sur Konbini, avec du Clarence (photo ci-dessous : une caille, sardine et sésame que je n’oublierai), de l’Auberge Sauvage, du Dandelion, du Vin Mon Lapin, du Adrien Cachot et du Gianmarco Gorni dedans.

BONUS. Pour celles et ceux qui ont déjà vu et lu le classement ci-dessus : voici (en avant-première) un plat déjà en lice pour intégrer mon palmarès de fin d’année 2025. En matière de truc chelou, je pouvais difficilement faire mieux : il s’agit d’un énorme œil, servi dans le restaurant le plus fou et le plus bouleversant du monde, Alchemist, à Copenhague.

Pour saisir l’essence et l’intention de cette création, imaginée par le jeune chef et prodige Rasmus Munk, il faut penser très fort à George Orwell et à son roman dystopique 1984. À l’intérieur de la pupille de ce plat (la seule partie comestible), on découvre des couteaux de mer, des asperges blanches fermentées depuis de longs mois et des moules bleues que l’on ne trouve qu’en Scandinavie. C’était le climax d’un dîner extraordinaire, unique et renversant, de 7 heures et 50 plats, que je vous raconte en longueur sur Konbini.

Qui aurait pu imaginer que YouTube devienne, un jour, le carrefour entre des vidéos de Squeezie et des archives bancales des plus grands noms de la gastronomie française ? Il y a quelques semaines, lors d’une longue interview pour un portrait, je demandais au jeune chef Loïck Tonnoir — que l’on vient de sacrer parmi les Talents of Tomorrow 2025 de Konbini, après Valentin Raffali (2023) et Zac Gannat (2024) – de se livrer sur ses passions, inspirations et obsessions.

Il m’a parlé d’une vidéo mystérieuse.

Le mystère en question ? Une vidéo qui sommeille depuis treize ans sur un obscur compte YouTube, sans contexte, ni explications. Une vidéo qu’il admet avoir regardée des centaines de fois, qu’il lance comme un réflexe autant pour se détendre, pour déconnecter, pour retrouver la flamme ou l’imagination.

En réalité, cette “vidéo” est un documentaire de France 3, impossible à dater, qui suit le chef légendaire Bernard Pacaud dans les cuisines (et les coulisses) de son restaurant L’Ambroisie, trois étoiles au guide Michelin depuis belle lurette.

Une archive que je vous recommande chaudement, à mon tour, si vous souhaitez vivre l’expérience de traverser, depuis votre canapé ou votre siège de métro, un “Trou noir” de l’histoire de la cuisine fait de pixels usés, d’un mixage son cabossé et de gros plans caméra très osés que l’on n’enseigne même plus en école de journalisme.

***

Merci de m’avoir lu. Merci pour vos gentils petits mots lors de l’annonce de cette newsletter. Enfin, un dernier merci à ceux qui m’ont inspiré, motivé ou mis le coup de pied aux fesses pour me lancer (avec leur propre newsletter) : PNY, mon phare Pharrell Arot, l’inimitable Constance Dovergne, évidemment Elisabeth Debourse, Amy Odell et Ann Friedman.

On se retrouve ici-même dans un petit mois !


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Par Robin Panfili

Je suis Robin Panfili, journaliste sur l’Internet depuis plus de dix ans. Après avoir travaillé pour Slate, Vice, Le Monde ou Konbini, je suis désormais reporter gastronomique indépendant (Le Fooding, GQ…). J’explore le monde de la cuisine sans distinction, sous toutes ses coutures : du snack au bistrot de quartier, du kebab ouvert tard la nuit aux restaurants étoilés.

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