J'ai décidé de quitter la rédaction de Konbini. Pour explorer de nouveaux horizons et continuer de documenter, à ma façon, la manière dont la cuisine occupe et bouscule nos vies.
Il y a les “au revoir” difficiles, et les autres, plus légers.
Celui que je m’apprête à vous raconter est un adieu que l’on fait avec le sourire, avec soulagement, mais avec le cœur épais aussi. Après sept années à raconter la bouffe chez Konbini, j’ai décidé de quitter la rédaction et de voler de mes propres ailes.
Besoin d’air, de temps, de nouveaux défis et de plus larges horizons. Besoin de tout ça pour continuer à raconter ce monde de la cuisine avec le même œil, la même passion, mais autrement.
Je suis arrivé à Konbini, un peu par hasard, après Slate, et j’y ai trouvé la liberté dont rêverait n’importe quel journaliste. J’y ai passé les plus belles années de ma carrière, les plus libres et les plus remplies. C’est là, aussi, que je suis devenu “reporter” et que j’ai pris toute la mesure de cet intitulé.
J’ai voyagé de Chicago au plus petit patelin de Normandie. J’ai amené Alain Ducasse, Pio Marmaï et Édouard Baer dans des épiceries. J’ai exploré les cuisines de restos au petit matin et jusque tard le soir. J’ai embêté des brigades entières, en plein service, avec ma caméra, et je me suis retrouvé plus d’une fois à finir la nuit, en fumant des clopes, assis sur un passe-plat.
J’ai mangé dans les plus belles tables et les plus chaotiques des troquets. J’ai tâché mes t-shirts et parfois avalé du Citrate de Bétaïne, en cachette, entre deux assiettes. J’ai pris un bateau en pleine tempête vers une île qui n’est même pas sur Google Maps, je suis monté dans l’Orient-Express et j’ai planté une bagnole de loc’ dans des vignes en plein reportage sur les vendanges.
J’ai écrit sur ce que je voulais, quand je le voulais. J’ai parlé de la cuisine autrement. Avec mon regard. Avec mon cœur et ma tête qui tournent un peu trop vite et un peu trop fort. J’ai parlé des timides, des vedettes, des perchés, et de tout ce qui se cache derrière les paillettes.
Je vais écrire, filmer et continuer mes petits et grands écarts journalistiques dans différents journaux et magazines. Je vais aller manger au Clarence une dernière fois, faire les vendanges chez les frères Mosse, puis aller cueillir des fleurs sauvages et garder les vaches avec Pierre-Édouard Robine.
J’irai revoir le Grand Hôtel et des Palmes à Palerme, cuisiner pour l’asso Ernest, rouler à contre-sens sur les routes écossaises, (re)partir dans les refuges d’altitude des Pyrénées, et trouver un lieu tranquille pour travailler sur un livre à paraître en 2026. En gros, maîtriser l’horloge et prendre le temps de faire tout ce qui me trottait dans la tête depuis un moment.
Des articles, des enquêtes, des analyses, des trucs sérieux et d’autres zinzins que je m’étonne encore d’avoir pu publier. J’ai écrit sur notre obsession pour les bistrots “authentiques”, la hype des cocottes Le Creuset, l’uberisation de la cueillette des champignons, le délire collectif autour du levain pendant le confinement, la vérité (pas très glamour) derrière les banquets d’Harry Potter, ou les excès viandards du Noma. J’ai défendu les plats moches, la cuisine anglaise, et la victoire volée à Adrien Cachot dans Top Chef. J’ai demandé à des chefs si The Bear était (vraiment) une série réaliste, qu’ils m’ouvrent leurs carnets secrets de recettes, et qu’ils m’avouent les objets qu’on leur vole le plus au resto. J’ai chroniqué la naissance d’un grand restaurant, le raz-de-marée de la babka dans la capitale et le retour du chef préféré de ton chef préféré.
J’ai enquêté sur les gangs de collectionneurs de tomates anciennes, le harcèlement contre les cheffes dans Top Chef, sur vos collègues qui volent votre déjeuner au taf, sur l’overdose des pizzas napolitaines à Paris, sur la hype des producteurs-stars, sur les cantines de tournages de cinéma, sur la guerre des étoiles Michelin, sur le désamour des jeunes pour le kebab… et pourquoi on appelle le patron du kebab : “chef”.
Autre fierté ? Tirer le portrait de trois jeunes chefs pour le palmarès des “Talents of Tomorrow by Konbini” : Valentin Raffali (2023), Zac Gannat (2024), Loïck Tonnoir (2025) ; et lancer une ambitieuse pétition avec Le Fooding contre les no-show au resto. Aussi, fierté d’écrire sur des choses loin de la bouffe : la Juventus, le gardien de but le plus heureux du monde, la série Succession, et le trompettiste qui va vous faire aimer le jazz.
Dans mon autel de reportages, voici ce qui me vient en tête en premier (et en vrac) : rentrer les poules avec Glenn Viel à Baumanière, écumer les diners de Montréal et Chicago au saut du lit, explorer le George-V de fond en comble, manger du parmesan directement à la meule dans l’ambassade d’Italie, l’Orient Express, et manger une carbonara tout seul dans les rues de Venise après un reportage. Mais aussi : saluer Gaspard Augé de Justice à une soirée Fooding, manger à la table de Simone de Beauvoir aux Deux-Magots, m’attabler pendant 7 heures à table à Alchemist et passer mon mois d’août à vérifier si les spots à touristes valent vraiment le coup.
J’ai aimé discuter avec un étudiant qui a fait une thèse sur le kebab, avec les jeunes cracks de la cuisine de demain, avec le patron de la “Couscousmobile”, avec des gens qui inspirent et font avancer le monde, avec les jeunes chefs qui cuisinaient pour les soignants pendant le Covid. Avec celui qui va manger dans tous les stades de France, avec le plus jeune caviste de la plus petite cave de Paris, avec les cuisiniers confinés qui s’ennuyaient, avec le mec qui parcourt le Japon pour goûter aux meilleurs ramens du pays et celui qui mange avec 1 dollar partout dans le monde.
Une fois le stylo posé, je suis passé derrière la caméra (et une fois devant). J’ai mis en boîte une montagne de “Today’s Special”, un format dans lequel des chefs me dévoilaient les secrets de leur plat '“signature”. Dans les “Food Club”, j’ai embarqué des gens très différents dans leur épicerie préférée : Alain Ducasse, Guy Savoy, Édouard Baer, Pio Marmaï, Fabrice Éboué, Sophie-Marie Larrouy, Naza, Philippe Etchebest, Yotam Ottolenghi... et même Manon Fleury dans une librairie. Je me suis embrouillé avec les jurés de Top Chef pour un quiz, mais j’ai surtout bouclé, avant de partir, un entretien avec Adrien Cachot, long, inédit et dont je suis très fier.
Je viens de recevoir mon bilan sanguin et, par miracle, le cholestérol n’est pas trop dans le rouge. Alors, je me souviendrai de la soupe d’artichaut de Guy Savoy, de l’Auberge Sauvage, du meilleur repas de ma vie chez Alexandre Mazzia, du premier Livingston, de Dandelion, des Troisgros, de Racines, des virées au Constantinople et au 129. Des Arlots, du rouget/kimchi de Guillaume Sanchez, de la glace à l’os à moelle de Glazed, du dîner sur un tabouret au “passe” du Meurice et de La Mirande. d’un après-midi vissé au Clarence, de la table face à la mer chez Tuba, de mon retour à Vin Mon Lapin (Montréal), du déjeuner avec Ottolenghi chez Özlem et du tête-à-tête avec Ducasse chez Allard.
Je pense aussi à ceux qui n’existent plus : Saturne, Le Desnoyez, Le Cadoret, Uncino, Lolo Bistrot, Éléments, Abri, Goguette… Et, évidemment, Procopio Angelo, où j’ai avalé un énorme plat de pâtes au déj’ pour mon tout premier jour à Konbini.
À mes collègues (non exhaustif) : Pharrell, Lucie, Zozo, Donnia, Lise, Abdallah, Adrien, Arthur, Manon, François, Pierre, Gabrielle, Marjorie, Sandra, Fanny, Élie, Flo, PE, Henri, Thomas, Benoît, Méline, Catherine, Farah, Jane, Céline, Raphaël, Simon, Hugo, Manu, Rayou, Louis…
À ceux qui m’ont ouvert la voie dans ce métier : Jean-Marie Pottier, Jean-Laurent Cassely, Mélissa Bounoua, Charlotte Pudlowski, Léo Bourdin, David Creuzot, Lucie Beudet, Mathieu Marmouget, Remi Constant Belrepayre, Jean-Guillaume Santi, Olivier Clairouin, Louis Daboussy et Pierre Sankowski.
À ceux, en cuisine, qui m’ont fait confiance (A à Z) : Ella Afflalo, Amaury Bouhours, Adrien Cachot, Sven Chartier, Nolwenn Corre, Alexia Duchêne, Bérangère Fagart, Mehdi Favri, Manon Fleury, Zac Gannat, Jade Genin, Antonin Girard, Gianmarco Gorni, Marine Gora, Matthias Marc, Aziz Mokhtari, Justine Piluso, Florent Pietravalle, Clotaire Poirier, Justine Pruvot, Valentin Raffali, Leo Righini, François Roche, Mory Sacko, Guillaume Sanchez, Simone Tondo, Loïck Tonnoir, Pierre Touitou, Antoine Villard…
J’ai accumulé plein de choses durant mes années à Konbini. Des couverts de restos, une banane réfrigérée Picard, une tonne de bouquins, des assiettes du dernier service de Lolo Bistrot, une courge cheloue et quelques kilos en trop. Mais ce n’est rien à côté de ce qu’ont pu m’offrir mes collègues (Abdallah, Lucie, Zozo et Jules) en reportage : des maillots de la Juventus signés par Paul Pogba, Paulo Dybala, et mon joueur préféré de tous les temps, Claudio Marchisio.
Et sinon, n’oubliez jamais.
Merci de m’avoir lu et de me suivre hier, aujourd’hui, et j’espère demain. On se retrouve, ici, dans un petit mois. Portez-vous bien. Et bonne rentrée !
→ Mon Instagram où je montre ce que je mange.
→ Ma carte Mapstr où je dévoile là où je mange.
→ Mon Instagram (secret) où je fais de la peinture.
→ Mon (autre) identité où j’infiltre des supermarchés.
→ Mon Tumblr qui prouve que je suis un vieux d’Internet.