La table la plus folle de Paris est planquée dans un sous-sol

Un dîner, caché dans les entrailles d'un restaurant parisien, m'a confirmé qu'il n'était pas forcément nécessaire d'être bien assis pour bien manger.

Entrée, Plat, Dessert
4 min ⋅ 08/10/2025

La table la plus renversante du moment, à Paris, est un petit secret.

Personne n’en a entendu parler, sauf si vous avez les bons tuyaux.

Tout se joue à Montezuma Café, un restaurant à deux visages : l’un, bien rodé, à l’étage… et un autre, punk et sans limites, improvisé en secret dans une arrière-cuisine étroite, au sous-sol, où l’on oublie les règles et les conventions. Où l’on accepte de faire confiance et de se laisser porter.

Sur cette petite table, officieuse et incertaine, nappée sur un meuble en inox, face au chef Clément Satgé, j’ai vécu une claque qui remet les idées en place. Une petite secousse dans la bouche comme on n’en fait plus, ou peu.

Ici, pas de menu, pas de chichi, mais une carte blanche qui ne s’arrête que lorsque vous levez la main pour dire “stop”. Cette table, la “666”, n’est pas la plus confortable, la plus clinquante, mais l’une des plus remuantes de la capitale. Il s’y joue, dans les mains de Clément Satgé, un spectacle inédit et inouï, saucier et technique. Une tempête de contrastes pointilleux et de saturations assumées.

Un retour à l’essentiel, à l’artisanat, au cru et au brut, où l’on ne vient pas observer un chef performer et pavaner, mais rendre exceptionnel ce qui devrait être évident. Cuisiner, tout, de À à Z, et ne pas s’en vanter. Fou, mais rien de si “fou” à l’écouter. Car la cuisine, on l’a oublié, est parfois aussi simple que ça. Réfléchir, bricoler, jongler avec ce qu’offre une chambre froide, et “juste cuisiner”. Bien et sérieusement, pour sortir des plats que l’on apprécie pour ce qu’ils sont, sans avoir à les intellectualiser en se grattant le menton.

Cette table est encore une confidence, réservée aux proches et aux habitués. Mais pour goûter à ce que l’on y trouve, il suffit de venir à l’étage, dans le restaurant “officiel” de Montezuma Café, pour vivre le même feu d’artifices.

Et pour découvrir, avant tout le monde, le génie d’un chef dont vous allez entendre parler très vite. Et très fort.

La science de “juste” cuisiner

Depuis que l’on s’est trouvés, grâce au chef Loïck Tonnoir, on a eu l’occasion de beaucoup discuter. À chaque fois, Clément Satgé – qui s’était déjà glissé dans le tout premier numéro de cette newsletter – m’a répété qu’il ne faisait “que” cuisiner. C’est-à-dire ?

Je me considère cuisinier, pas chef. Je ne ‘cheffe’ pas et je n’ai pas envie de déléguer ma cuisine. C’est pour ça que je fais tout moi‑même. Ma cuisine est telle que je la ressens : sans calcul . Des goûts francs, des assaisonnements généreux, directs. Je cuisine au gré de mes envies, “minute”, et spontanément. C’est essentiel. J’ai trouvé ma cuisine il y a deux ou trois ans. Elle garde encore l’empreinte de mon passage à La Régalade, mais aujourd’hui, je ne lutte plus avec elle. Tout est devenu naturel. Une liberté que je dois aussi au Montezuma où je me sens complètement libre, soutenu et compris — merci à Théo et Louis, et mon 'side-kick’ Roni.

La cuisine est politique

Aucun geste, aucun plat, aucun service n’est anodin chez Clément Satgé. Depuis son sous-sol, la cuisine n’est pas une scène, mais un porte-voix, qui lui permet de défendre une vision et une philosophie à rebours d’un cirque gastronomique souvent trop caricatural, trop opportuniste.

La cuisine est politique et doit l’être à tout prix. J’en ai marre de voir ce milieu l’ignorer, envahi par des communicants qui ne disent rien. Des magazines connus affichent une conscience politique de façade, tout en se faisant sponsoriser par de grandes marques de l’agroalimentaire. Les cuisiniers ont une voix et doivent l’utiliser, mais pas à travers ces canaux superficiels. Il y a des choses plus importantes dans le monde que de savoir où un thon a été pêché ou par quel petit bateau. Mort aux subtils. Moi, je suis de gauche, très à gauche même, et je l’assume pleinement. Si ça te déplaît : ne viens pas manger ma cuisine. Je n’ai pas envie de nourrir des racistes ou des réactionnaires.

CE QUE J’AI AIMÉ RÉCEMMENT | La nouvelle newsletter de Christine Doublet, ma première parution papier dans GQ, ce morceau de jazz, la cuisine de Romain Meder. Commencer à travailler (en secret) avec mon meilleur ami Léo, les croquetas de Casa Pregonda, le chef Valentin Raffali qui marche tout seul dans le Louvre, cette peinture du Caravage. Ce match de la Juventus, la nouvelle piste cyclable à Stalingrad, ce skud d’Adèle Castillon, cette paire de godasses, une photo venue d’Angleterre, la folie de la cheffe Claire Grumellon à Lissit et celle de Jack Bosco au Canard Sauvage, le come-back de The xx, ce livre de John Fante (relu pour la huitième fois) et celui-ci d’une amie. Et puis cette archive en noir et blanc.

L’art subtil de la sauce

Lorsqu’on fait, comme Clément Satgé, ses armes chez un maître saucier, rigoureusement et parfois douloureusement, certains décident de s’en émanciper. Lui a trouvé, enfin, son langage, toujours aussi politique.

Les sauces et les fonds sont, pour moi, des piliers de la cuisine. J’ai tout appris dans les livres et à La Régalade. Là-bas, c’était la première chose qu’on lançait sur les fourneaux, le matin en arrivant, avant même de se changer, pendant que le café coulait . C’est un travail chronophage et physique, mais trop important pour prendre des raccourcis. La gastronomie, c’est un milieu de privilégiés. Moi, je n’ai pas envie de cuisiner que pour ceux qui peuvent s’offrir les plats les plus chers ailleurs. Je préfère bosser comme un fou sur des produits normalement réservés aux classes bourgeoises pour les rendre abordables au plus grand nombre. J’ai envie que les autres, aussi, puissent goûter. Pas tout le monde, ce serait illusoire, mais au maximum — parce que c’est pour eux que j’ai envie de faire à manger.

Ce qui nourrit l’âme d’un chef

Au départ, je voulais finir ce numéro en insistant sur l’épatant cassoulet qu’il sert à Montezuma (après tout, il vient du Sud-Ouest, comme moi), mais parlons plutôt des œuvres qui l’animent.

MUSIQUE. “Bop till you drop” de Ry Cooder. “Un album que j’écoutais énormément, petit, avec mon père et ma mère, que je réécoute encore souvent. Et “Different Trains” de Steve Reich. “Un disque qui m’a ouvert à la musique concrète et minimaliste, que je mets très souvent en cuisinant.”

LITTÉRATURE. “Je vais un peu dans tous les sens, mais je reviens toujours vers les éditions JJ Pauvert et PUF. Il y a aussi un auteur qui m’a profondément marqué et que je relis régulièrement, ce qui est rare chez moi : Édouard Levé avec son livre Autoportrait. Ce livre m’a beaucoup aidé et me suit au quotidien.”

CINÉMA. “J’en regarde très peu aujourd’hui, sauf exceptions. J’ai eu une passion pour Aki Kaurismäki et pour Kervern et Delépine. Un des derniers films qui m’a marqué, c’est Sailor et Lula, pour son côté ouvertement surjoué. Ce ‘faux’ du cinéma qui, d’habitude, me dérange est ici assumé et poussé à l’extrême.”

Merci pour la lecture et pour votre fidélité.
On se retrouve dans un mois, juste ici.


→ Mon Instagram où je montre ce que je mange.
→ Ma carte Mapstr où je révèle là où je mange.
→ Mon Instagram (secret) où je fais de la peinture.
→ Mon (autre) identité où j’infiltre des supermarchés.
→ Mon Tumblr qui prouve que je suis un vieux d’Internet.

Entrée, Plat, Dessert

Par Robin Panfili

Je suis Robin Panfili, journaliste sur l’Internet depuis plus de dix ans. Après avoir travaillé pour Slate, Vice, Le Monde ou Konbini, je suis désormais reporter gastronomique indépendant (Le Fooding, GQ…). J’explore le monde de la cuisine sans distinction, sous toutes ses coutures : du snack au bistrot de quartier, du kebab ouvert tard la nuit aux restaurants étoilés.

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