Voici comment les néons rouges de bars et de restos nourissent notre émerveillement quotidien et maintiennent en vie, encore un peu, notre nostalgie.
Parfois, la vie est d’une insolente simplicité.
Parce que, parfois, il suffit de quelques petits mots et d’un peu de lumière pour retrouver la flamme. Ce constat sonne peut-être comme une banalité soufflée par un psychologue mal noté sur Google, je sais, et pourtant, c’est la vérité.
Vous voulez un exemple très concret ?
Le voici : un néon accroché sur une devanture de bar, dans le nord-est parisien, en dessous de la ligne 2 aérienne du métro, au niveau de la station Stalingrad. Le nom du rade ? “Tout va Mieux”, brillant en lettres rouges et en typo italique, qui perce l’obscurité des nuits de ce quartier tourmenté.
De nombreux Parisiens, de naissance ou d’adoption, voient très bien de quel bar il s’agit. Mais si vous ne l’avez encore jamais croisé sur votre chemin, vous allez d’autant plus aimer ce qui va suivre. Ce troquet de faubourg ; refuge pour lève-tôt et cachette pour oiseaux de nuit ; ni chic, ni rebutant ; on vit avec et on le frôle sans vraiment faire attention.
Comme tant d’autres rades dans son genre, ce bar est là, dans notre routine et notre quotidien. Et pourtant, personne n’a jamais mis les pieds à l’intérieur.
J’ai longtemps cherché à comprendre ce qui me fascinait dans ce lieu qui m’était complètement inconnu. Avec un peu de recul, j’ai compris que tout tenait à sa façade, faussement désinvolte, et à son néon à la poésie plus ou moins volontaire.
Un “Tout va Mieux” qui brille, qui nargue, que l’on attrape des yeux un peu au hasard. Un simple néon qui remonte le moral et les bretelles, et qui, le temps d’un clin d’œil, nous soulagerait presque du bruit et de la violence que peut nous faire avaler le tourbillon de Paris.
Plusieurs fois, j’ai franchi la porte de ce bar pour essayer de gratter quelques informations sur son histoire. Mais je n’ai jamais réussi à trouver les réponses à mes questions, même en commandant trois cafés d’affilée pour tenter de corrompre le tenancier. L’obstacle ? “Le patron n’est pas là”, ou une blague pour détourner le sujet. Comme s’il fallait garder un secret, ou plutôt, comme s’ils s’étonnaient que quelqu’un puisse s’intéresser à l’histoire de cet établissement. “C’est un bar, voilà, rien de plus. On sert du café. Je ne comprends pas bien votre question... Y a rien à raconter, c’est un bar, quoi…Sinon, vous voulez autre chose ? Un autre café ?”.
La magie de ces lieux, moins clinquants qu’un palace, moins léchés qu’un énième coffee-shop branchouille ou qu’un restaurant à concept, tient alors à ce qu’il nous reste de plus pur et de cartésien : un lyrisme candide, un charme, et un romantisme innocents. Tout ça, dilué dans le bitume, les gaz d’échappement, les gens pressés et impolis et le rouleau compresseur d’une vie à mille à l’heure.
Une poésie, aussi, qui repose ici sur le contraste entre son nom, “Tout va Mieux” (mielleux et tout mignon) et le pragmatisme de sa raison d’être (servir des galopins de bière, du café Richard et du Chardonnay dans des verres à ballon).
Dans une époque piégée dans l’uniformisation de son modèle urbanistique, obsédée par un minimalisme vulgaire, insultée par le remplacement des ampoules jaunes de lampadaires par des LED blanches déprimantes, sermonnée par les cahiers des charges à rallonge des Architectes des bâtiments de France, et malmenée par des riverains de plus en plus casse-pied… Les néons rouges font de la résistance. Même s’ils se retrouvent aujourd’hui condamnés à cohabiter avec de nouveaux ennemis : les devantures recouvertes de fleurs artificielles ou les façades épurées de restos au nom à mot-unique.
Vestige d’une tradition et étendard d’un conservatisme acceptable, le néon serait-il alors l’une des dernières cordes qui nous raccroche à un patrimoine populaire qui s’écroule ? Si l’on peut reprocher bien des choses au très touristique “quartier latin” de Paris, aux épiceries de nuit ou aux commerces olé-olé de Pigalle, le néon sera peut-être, finalement, et contre toute attente, notre sauveur, notre lanceur d’alerte, et la dernière brique mémorielle d’une vie nocturne révolue, insouciante et interlope, autrefois baignée dans les reflets rouges et stroboscopiques de ces enseignes lumineuses.
Je suis vieux, je ne sors plus, et je ne me raccroche désormais plus qu’aux souvenirs de mes belles et jeunes années… Mais tant qu’il est encore là, ce bar, le “Tout va Mieux”, on peut continuer à espérer. Bien heureusement, il n’est pas le seul à nous offrir cette douce poésie du commun, du simple et du quotidien. À quelques mètres de chez moi, mon kebab préféré, lui, arbore fièrement un nom tout aussi romantique sur sa devanture lumineuse multicolore : “Les Délices d’Amour”.
Essayez de trouver plus poétique que ça.
Moi, j’ai rien en stock.
***
Il y a les devantures lumineuses de restos que l’on connaît tous… et celles qui brillent en silence. Pour les découvrir et les observer, je vous offre ma carte (un peu) secrète des néons de bars et de restaurants incontournables et emblématiques de la capitale. De la Rotonde au Progrès, de la Coupole au Chat Noir, du Harry’s Bar au Requin Chagrin, il y en a pour tous les goûts… et tous les budgets, si d’aventure vous envisagez de vous y attabler.
Les néons racontent tous une histoire.
Un peu rétro, un peu kitsch, un peu énergivores aussi, ils résonnent en nous pour des raisons diverses et variées. Celui qui réveille en moi beaucoup de souvenirs, c’est celui de Lolo – un resto qui a vu défiler quelques-uns des jeunes chefs les plus prometteurs de la cuisine de demain (Antonin Girard, Maud Saddok, Paul-Alexis Veyret-Logerias, et évidemment Zac Gannat...)
D’abord parce qu’il me rappelle une époque révolue, celle de Lolo Bistrot, l’un de mes restos préférés à Paris qui a fermé ses portes, puis celle de son ancêtre, Lolo Cave à Manger, lui toujours bien debout, dans le quartier de Notre-Dame-de-Lorette.
Sauf que, à l’heure où j’écris ces lignes, personne ne sait vraiment où se trouve le fameux néon “Lolo” du Bistrot (celui de la photo ci-dessus), égaré dans le joyeux bazar du dernier service du resto avant sa fermeture définitive, en juin dernier. Mais alors, où est-il passé ? J’ai bien essayé de percer le mystère, mais les patrons Loïc Minel et Christophe Juville n’en ont, eux-mêmes, strictement aucune idée. Bien heureusement, il reste encore celui de la Cave, accroché bien haut sous le plafond, pour, on l’espère, de nombreuses années encore.
Il y a quelques mois, je suis parti à Chicago sur les traces de la série The Bear. Là-bas, pour Konbini, j’avais pour mission de raconter l’histoire du resto qui a inspiré le programme, Mr Beef. Mais j’ai aussi pris le temps d’immortaliser la beauté et l’esthétique singulière des devantures des commerces de bouche de Chicago. Un petit paradis pour les nerds de la typographie en mon genre.
Si vous avez regardé la série The Office, vous êtes très certainement familiers avec l’un des plans inévitables de son générique. Un panneau “Scranton” indiquant l’arrivée dans cette ville de Pennsylvanie qui a inspiré et servi de décor au meilleur show comique de tous les temps.
Ce plan, a priori banal, est en réalité une mine d’anecdotes plus ou moins connues du grand public.
Lorsque je bossais encore chez Slate à l’époque, mes chefs m’avaient laissé enquêter pendant six mois sur l’influence de la série sur la ville de Scranton et ses habitants. C’est l’un des articles dont je suis le plus fier dans ma jeune carrière de journaliste, et voici ce que ce panneau “Scranton” m’a appris :
Le panneau “Scranton” du générique a été filmé par John Krasinski lui-même (Jim Halpert dans la série), maladroitement, depuis le volant de sa voiture, lors d’un repérage dans la ville juste avant le début du tournage.
Durant les repérages à Scranton, les créateurs de la série n’étaient pas vraiment les bienvenus. Greg Daniels, le showrunner de la série, m’avait alors confié une anecdote piquante avec un journaliste local – inquiet de voir sa ville caricaturée ou moquée – qui lui avait réservé un accueil froid, voire glacial.
Les lieux clés et récurrents de la série (le Scranton Business Park, le Poor Richard’s Pub, Alfredo’s Pizza, le Steamtown Mall, Cooper’s Seafood…) existent vraiment à Scranton… Mais on ne retrouve dans The Office que leurs devantures, filmées par des caméramans dépêchés sur place pour capturer des plans d’illustration. L’intérieur de ces lieux, lui, a été reproduit en studio à Los Angeles.
La série, en effet, n’a pas été tournée à Scranton, mais dans des studios à Los Angeles. Fun fact : pour recréer les hivers froids et enneigés de la Pennsylvanie, les showrunners ont sauté sur les rares épisodes pluvieux qu’offre la Californie… et ont utilisé de la fausse neige synthétique dans une poignée d’épisodes afin de coller au mieux à la réalité météorologique et climatique de Scranton – notamment pour les épisodes “Christmas Special”.
En Amérique du Nord, on tire au fusil dans les tornades, on roule avec de grosses voitures et on cultive une philosophie bien différente qu’en France en matière de panneaux publicitaires. À Montréal, par exemple, ils ont décidé de construire une énorme boule orange… pour y vendre un étrange milkshake à l’orange. C’est Gibeau Orange Julep et, un après-midi d’automne, mon amie photographe Emilie Franzo a bien voulu me prendre en photo devant.
J’ai un milliard de photos dans mon téléphone, dont un paquet avec des néons à l’intérieur. Je n’ai jamais eu la force de les trier, mais en voici une, à la valeur sentimentale particulière, que j’ai toujours sous la main. Une photo de mon ami Arman Soldin, journaliste tué lâchement en plein reportage lors de la guerre en Ukraine, le 9 mai 2023, alors qu’il documentait le conflit pour l’AFP.
Sur cette photo, on le voit sous le néon d’un restaurant à Sarajevo, un soir d’été, après une journée de tournage du documentaire qui a lancé nos vies respectives de jeunes journalistes, “Bosanski Inat”. On y avait mangé des bureks à la patate et aux épinards, je crois, et sans doute beaucoup rigolé ensuite, avec mon autre ami et acolyte Rémi. Tu nous manques, Arman, et on ne t’oublie pas.
Pas vraiment des néons, ni même des devantures, mais plutôt des étals de supermarchés. Depuis quelques semaines, je m’amuse à immortaliser, en photo, les rayons les plus graphiques d’épiceries, de centres commerciaux et de grandes surfaces. J’ai choisi un nouveau pseudo pour l’occasion, @thesupermarketexplorer, et j’ai même ouvert un compte Instagram pour les collectionner.
Sans transition : il y a dix ans, un mec posait un trépied de caméra et une chaise dans une prairie du Kansas et commençait à jouer un morceau de Lorde (“Royals”) avec son trombone. Après seulement quelques notes, un troupeau de vaches traversait alors leur immense champ pour venir apprécier le spectacle aux premières loges. C’est ma vidéo préférée d’Internet, qui rassemble deux de mes passions : les vaches et le jazz (et aussi un peu la série Yellowstone).
C’est tout pour aujourd’hui. Merci de m’avoir lu, de votre fidélité et pour vos gentils mots. On se retrouve, ici-même, dans un petit mois. D’ici là, portez-vous bien !
→ Mon Instagram où je montre ce que je mange.
→ Ma carte Mapstr où je dévoile là où je mange.
→ Mon Instagram (secret) où je fais de la peinture.
→ Mon (autre) identité où j’infiltre des supermarchés.
→ Mon Tumblr qui prouve que je suis un vieux d’Internet.
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